Oui, grave et sans but,
A l’ailleurs dédiée,
La parole sauve,
Lumière inapaisée,
Caresse le mur du jardin,
Réveille une chaise d’osier,
Ce lent bonheur des choses
Où somnolent nos souvenirs.
Gaston Puel
Les vers qui précèdent sont extraits d’un poème figurant dans le récent livre de Gaston Puel : « 42 sirventès pour Jean-Paul ». Avant toute chose, il convient de signaler qu’un sirventés est un genre poétique provençal du Moyen-Age consacré à l’amour et à la louange tout en étant souvent une lamentation mélancolique. Dans un avertissement liminaire, Gaston Puel rappelle que ces textes furent pour lui « l’occasion et la chance de ne pas sombrer » alors que sa vie devenait très difficile. C’est Jean-Paul Martin, artisan-éditeur, qui, à l’enseigne des Editions de Rivières, choisira de présenter des dizaines de beaux ouvrages de Puel, ouvrages tirés à moins de vingt exemplaires et toujours accompagnés par des œuvres d’artistes. Ainsi, depuis le printemps 2006, 72 livres ont vu le jour.
René Piniès, fidèle parmi les fidèles, a choisi d’éditer 42 de ces textes pour composer un livre qui n’est pas qu’une simple compilation mais une guirlande de poèmes dont le fil conducteur est l’empathie pour tout ce qui vit et pour ce qui survit. Dire « la vacuité du monde, son innocence et son absurdité », avancer pas à pas dans « le remugle des souvenirs », résister à la déréliction quand « la poésie ne répond de rien » sont autant d’épreuves à affronter pour celui « qui tresse du bonheur avec du vent ». Les poèmes consacrés à son épouse frappée de la maladie d’Alzheimer sont parmi les plus terribles et les plus émouvants que l’on puisse lire. Il y a là comme une frontière invisible, infranchissable, paralysante avec le couperet de l’indicible : « jamais plus je ne vivrai de tels instants ». Tout cela se joue dans un incessant va-et-vient entre deux univers : « oui, l’absurde est notre lien, l’absurde bonheur fut notre lieu », et cela à tout instant alors que « le train du bonheur passait, silencieux et invisible, sous nos fenêtres ».
Si « lire est un épanouissement », lire un tel livre est un enrichissement personnel aux antipodes des vaines richesses matérielles. Oublions donc les petits poètes au goût du jour et ne perdons pas de vue celui qui a su traverser les modes et les vogues en demeurant fidèle à une ligne de conduite, humaine et poétique.
Une note de Michel Baglin
« 42 sirventès pour Jean-Paul » , recueil de poèmes et proses de Gaston Puel (voir son portrait) est la réunion de 42 plaquettes publiées depuis 2006 par Jean-Paul Martin, artisan-éditeur, à l’enseigne des Editions de Rivières, et accompagnés par des œuvres d’artistes.
Les sirventés (genre poétique provençal du Moyen-Age) évoquent bien sûr ces troubadours chers au cœur d’un poète qui fut l’ami de Joë Bousquet et de René Nelli, mais en vérité, ici, la diversité règne, des proses denses aux vers tressant des cantates, en passant par les lettres aux peintres amis. « Je veux dire que nous n’existons / qu’en passant comme les éphémères », c’est un peu ce que répètent tous ces textes œuvrant au « chant dans sa barque au silence promis ».
Il y a là des perles comme celle-ci : « Tu accueilleras dans tes mains / le ruisselet d’eau de source. / N’oublie pas : la nuit souterraine / a materné cette frêle clarté. / La poésie en est l’aveuglante lumière. » Ou l’évocation de cette heure où le jour s’évide : « Si l’heure du bleu tendre m’est chère, son écharde me meurtrit toujours. J’aime sentir mon pas franchissant le peu d’espace de mon ombre, je sais qu’il est la mesure même de n’être plus, comme ce pas en plus ou en trop qui me versa dans des langes et m’abandonnera au linceul. » Et je ne dis rien du déchirant avant-dernier poème, « S’absenter », consacré à l’épouse malade.
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