- Claude Vercey à Bazoches-en-Morvan (ph M.B.)
« La poésie est questionnement et non réponse. » Dans ses « propos d’arpenteur » qui ferment « L’Animal le géomètre » (J. Brémond, éditeur), Claude Vercey stigmatisait ainsi une poésie qui n’aurait pour prétention que de chanter le quotidien, le réel. Son livre est donc construit sur une quête de « l’autre versant » de l’écriture et de la parole : celui qui procède du creusement et de l’inquiétude. La poésie cherche et son tâtonnement même est la réalité du poème, son sens né des vertiges qu’il provoque.
Ainsi s’approche l’innommé, « l’indicible », bref cet obscur que tout poète pressent comme un défi. « L’Animal le géomètre » ne mesure pas un écart mais prend en compte deux dimensions concomitantes de l’être (« l’autre en soi ») qu’il s’agit de saisir d’un même mouvement de langage. D’où une poésie au « dynamisme polymorphe » qui ne peut jamais s’arrêter à nommer mais se voue à orchestrer des retours, des dialogues et des confrontations entre un sens qui émerge et l’infinité des restrictions, nuances, échos, etc. qu’il appelle — au plan de l’imaginaire comme du rationnel.
La poésie se fait ainsi non plus répétition mais « mouvement même de la connaissance » puisqu’elle constitue ce moment clef où le langage s’aventure à explorer (au delà des sens saturés et par un effort, il me semble, dialectique) la possibilité des synthèses dont tout homme a soif. Ce qui se dit clairement est lettre morte : poésie vive est celle qui se risque et parfois s’éreinte à force de vouloir une totalité toujours promise et toujours repoussée.
« Ce qui va »
Mais cette lecture que je faisais en 1986 de « L’Animal le géomètre » ne laisse rien percevoir de l’humour qui est pourtant un des éléments marquants des écrits de celui qui se présente comme le « moutard de Dijon ». On le découvre par exemple dans un recueil paru au Dé bleu, « Ce qui va ». Les exercices de style, toujours essentiels chez Vercey, introduisent à l’humour et à cette mélancolique dérision à quoi conduisent les mots quand ils se prennent au jeu de nos logiques soliloques. Pour donner à l’ensemble une tonalité amusée. Avec, notamment, une belle suite de textes en prose à la fin du livre, La Moindre des choses, sur l’amitié et la poésie que le vin entretient si bien quand il se partage entre des personnages comme Guy Chambelland, Louis Dubost, Gilles Pajot.
La malice régente le style
Autre livre réjouissant, « Le bonheur m’attend. Cent dix dits d’amour » paru chez Climats. « Un instant, tout instant, est crucial dès lors qu’il est sauvé du fleuve » nous dit l’auteur : ce sont précisément ces « instants » amoureux qu’il tente d’attraper dans les filets de ses petits textes. Ils sont 110, parfois très courts (5 ou 6 lignes), parfois un peu plus développés (deux ou trois pages), qui se répondent ou ne se répondent pas, changent de registre et presque de thématique, jouent de contrastes, suggèrent, rebondissent, tendent et saisissent des perches, scintillent, racontent, évoquent, fabulent, se moquent.
Autant de clins d’œil, car la malice y régente le style et l’érotisme y conduit de délicates excursions dans toutes les régions du trouble et de l’émoi. Fragments, vignettes ou digressions amusées, on passe par divers tons, reflets d’humeurs diverses, mais on reste dans le domaine de l’extrait (sans queue ni tête, si l’on veut, encore que ce soit… plutôt l’inverse), comme si Vercey ne retenait que des moments forts, ou particulièrement signifiants, d’un discours plus vaste, resté dans l’ombre. Ces « dits »-là ressemblent à des coups de sonde exploratoires dans nos quotidiens sentimentaux, nos imaginaires, nos paroles convenues ou circonvenues, nos maux d’amour et tous les faits et gestes, les hésitations, les émotions, les protocoles, les signes, les faux-semblants et les vrais bonheurs de l’aventure amoureuse. Nous ne serions pas très loin d’une approche sémiologique (et l’on pense à Roland Barthes, bien sûr) si Vercey ne prenait résolument le parti de nous faire sourire, souvent à nos dépens, avec ces fragments d’écrits qui sont aussi fantasques ou fantaisistes que sérieux.
Styliste et critique
Mais c’est aussi en vrai styliste qu’il opère, jubilant d’avoir trouvé une forme qui lui permet d’aller à l’essentiel, de saisir cette fameuse « vérité de l’instant » et de n’en retenir que ce qui fait sens, ou sourire. En accord avec ce qu’il pense de l’écriture lorsqu’il affirme : « La plus poétiques des tâches de l’écrivain, serait-il romancier, est dans ce mouvement de saisie, la capacité à pêcher de ces concrétions fabuleuses au travers du flux liquide du temps, dans ces nappes bourbeuses qui désormais clapotent contre les quais, le long de nos villes. »
Cette esquisse de portrait serait incomplète si je n’évoquais le critique. Claude Vercey est un lecteur et fin connaisseur du monde poétique. Ces articles sont éclairants, mais il sait aussi être un redoutable polémiste. On peut le constater en se rendant sur le site de la revue Décharge où il donne avec une belle régularité des ID (itinéraires de Délestage) et où, là encore, l’humour le dispute à la pertinence. Et qui ont valu quelques inimitiés à ce mousquetaire bourguignon…
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