« Au carrefour des errances »
Ce « carrefour des errances » publié par Airelles éd., est aussi un carrefour des amitiés : chacun de ces 18 poèmes est en effet dédié à un autre poète, ami de l’auteur, Georges Cathalo.
Pour la tonalité, on retrouve le sentiment de déréliction, cette sorte de désespoir – stoïque en ce qu’il s’accompagne d’une farouche volonté de lucidité – qui caractérise la poésie de Cathalo. Il s’agit bien de « résister aux mirages » sur une « terre sans promesses » où nous avons su « inventer l’enfer ». Sur cette terre où partir et revenir est pour les uns un peu la même façon de tourner en rond (« vous arrivez vous repartez / et rien ne change autour de vous »). Où pour d’autres, migrants « de toutes les douleurs », cela s’appelle l’exil. Où tout relève en somme du faux départ et néanmoins vous livre aux « vents contraires ».
On sent pourtant entre les lignes des poèmes de Cathalo un amour de la terre, de la nature et de la « douce saveur des choses », tellement menacée… Avec l’amitié, voilà qui constitue peut-être comme une consolation, une « étincelle égarée parmi les galaxies ».
« A l’envers des nuages »
Qu’ils soient constitués de vers brefs, de lignes de prose ou de versets, tous les poèmes qui composent cet ensemble, comportent le mot « nuages ». Au pluriel de préférence, car l’approche est multiple de cet ange des métamorphoses. Mais la fascination est une, qui s’éprend des formes diverses, « passions et dissipation », « barques dans un océan vide », voile sur des prairies de montagne...
Qu’ils se déclinent en divers paysages pyrénéens ou s’associent aux thématiques du désir, de l’enfance, du silence, les nuages sont d’abord et surtout la figure du temps. Sa fuite court partout, en filigrane, dans chacun de ces poèmes et constitue leur fil rouge. Aussi l’apostrophe aux nuages, au centre du recueil, s’articule-t-elle sur un leitmotiv : « vous passez ».
Georges Cathalo a publié plus d’une vingtaine de plaquettes depuis « Salves », prix Voronca 1979, mais il est aussi un critique littéraire abondant, qui donne de nombreux articles et des chroniques à diverses revues. Il est enfin l’auteur de recueils et de compilations de formes brèves, qu’il affectionne particulièrement. Ainsi nous a-t-il réjouis de ses « Brèves d’ovalie » . Avec « A l’envers des nuages » il renoue avec sa veine la plus féconde, la poésie.
« L’Echappée »
Après « Des mots pleins les poches » (éd Milan) plus particulièrement adressés aux enfants - et si l’on excepte ses « Brèves d’ovalie » (Chiflet & Cie éd. 2007) qui ont connu un franc succès dans le registre de l’humour -, l’une des dernières publications de Georges Cathalo est d’une tonalité bien plus grave et mélancolique, celle de nombre de ses poèmes - celle de « On aura » par exemple, publié il y a quelques années à La Bartavelle éd.
Son titre - « L’Echappée » - fait référence à tout ce qui nous détourne de l’essentiel, à cette tentation perpétuelle de la distraction pascalienne pour se dérober à la perspective insoutenable de notre condition.
Mais il n’y pas d’échappée en fait chez cet auteur qui a toujours ancré sa poésie dans le quotidien (il nomme d’ailleurs ses poésies des « quotidiennes »). Et l’on évoque ici encore à travers un jardin, une visite, le souvenir de Jean Malrieu, des maisons et des paysages, un rapport au monde à la fois douloureux et ébloui. D’autant plus douloureux, d’autant plus ébloui que l’âge peu à peu rend la contemplation plus lourde, les amis et parents plus clairsemés, la beauté du monde plus précieuse.
Ce recueil est publié par Michel Cosem et les éditions Encres Vives (2, allée des Allobroges. 31770 Colomiers. 6.1 euros.)
« Ce qui se dit »
Ce qui se dit, ce qui se tait viennent à se ressembler dans le même tremblement, « à mi-chemin du rêve et du réel », lorsqu’on les confronte à la précarité des gestes et à la fragilité de la parole. Extrêmement ramassée, la poésie de Cathalo mesure chaque instant et chaque mot à l’aune de l’oubli qui les guette, du néant où ils se diluent. Aussi « l’image obstinée » est-elle toujours minée de l’intérieur par le temps et le doute, ce dernier exigeant le conditionnel pour chaque poème. « La poussière du monde s’engouffre dans la lumière » pour ne connaître qu’une existence tremblante et éphémère, comme les éclats et les rumeurs d’un jour d’été : « à nous sous la menace / d’en dresser l’inventaire / à chaque seconde ». Mais en sachant que ce qu’on pourrait dire « ne serait qu’une parole », soit : « une pincée de nuit ». (Texture, 1983)
« Malgré tout »
Supplément à la revue Décharge, une plaquette de poèmes brefs où l’on reconnaît le ton Cathalo : une lucidité sans concession sur les désastres ordinaires de la modernité, mais aussi la volonté de savourer et de sauver ce qui peut l’être, « un coin de terre / où l’herbe pousse encore ». Autrement dit, « encore / et toujours veiller », prendre « le pouls des jours », se dresser contre « les complots du silence » car « si on parle c’est que cela vit encore / quelque part / sous la langue et la peau ».
« On aura »
Le futur antérieur donne une tonalité de tragique voilé aux poèmes de Cathalo qui, chacun, commence par la formule « On aura ».
« On aura tout vu, on aura tout dit, on aura cru se sauver, se survivre. » Ce futur ambigu qui joue les passés est une subtile mise en perspective des jours, perçus avec le recul du dérisoire. « On aura » ouvre le domaine de la mémoire et des rétrospectives inéluctables ; mais, surtout, dessine en filigrane du présent ce point de fuite lointain, extérieur, vers quoi tout converge, d’où tout semble prendre sens, perdre sens.
Malraux disait que la mort transforme la vie en destin. Le futur antérieur de Cathalo est, lui, ce mode de perception qui dévoile le tragique du quotidien. (La Bartavelle, 1987).
« Quotidiennes du proche et du lointain »
« Partir sans s’éloigner » : de cette double tentation le quotidien nourrit nos amours, nos frustrations et sa fondamentale ambiguïté, dans cette « troublante certitude / d’avoir à choisir seulement / entre la fuite et le combat ».
A travers ces poèmes de quelques vers qu’affectionne Cathalo et qu’il appelle des « quotidiennes », comme autant de notes, on reconnaît un peu de nostalgie (« au fond d’une gare abandonnée / moisit le bois d’un butoir ») mais surtout l’œil critique porté sur un monde où l’homme lui-même se perd : « Mille siècles ne te suffiraient pas / pour parcourir vraiment / oui vraiment / les sentiers de ton enfance / toi qui désormais / glisse bêtement / de rocade en autoroute. »
Une suite de quarante poèmes sur un « vivre ici », dans la difficulté de bâtir « une principauté à sa mesure », « un havre artisanal / qui jamais ne s’achèvera » face à un univers qui vous écrase, sachant « qu’un coup d’épaule suffit / à refermer les battants des sas / entre vide et néant ». (éditions Clapas.Aguessac.)
« Quotidiennes pour résister »
Depuis de nombreuses années, Georges Cathalo décline ses poèmes et ses plaquettes sur le thème des « quotidiennes » - quelques vers prenant appui sur ces instants des jours fuyants chargés d’émotion et de sens. Il y eut ainsi « Quotidiennes du proche et du lointain » (Clapas), puis « Quotidiennes pour oublier », « Quotidiennes pour dire » aux éditions La Porte et, cette fois-ci, chez le même éditeur, « Quotidiennes pour résister » . Seize poèmes insurgés contre le luxe, le cynisme, la haine et la barbarie dans une époque qui nous voit « envasés dans les confusions mentales ». Un appel à « allumer des contre-feux / créer des contre-poisons » qui exhorte aussi les poètes à « reprendre les armes des mots. »
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