L’intérêt de ce livre, c’est d’ajouter un jalon dans un itinéraire qui va de livre en livre, de moment en moment… Il est difficile de résumer un tel ouvrage tant il faut lire l’entretien qui se déroule très librement. Quelle serait d’ailleurs l’utilité d’un tel résumé ? Aussi choisirai-je de m’étendre que sur quelques passages. Pierre Dhainaut a raison de souligner que « les prisonniers des camps nazis et soviétiques se récitaient des poème pour survivre ». N’en est-il pas de même aujourd’hui dans le totalitarisme libéral où le primat de l’économique écrase les hommes, les réduit à l’état d’ilotes qui ne savent plus, qui ne veulent plus lire ? À moins de supposer la victoire définitive de ce capitalisme sauvage tant la poésie est réduite à l’état de portion congrue : elle est tout au plus tolérée dans le catalogue des éditeurs industriels qui veulent se donner une apparence culturelle. Si le propre de l’économie dite libérale (laissez faire, laissez passer !) est d’écraser le plus grand nombre, la poésie n’est pas vaine pour autant, car comme le dit Gabriel Celaya, « elle est une arme chargée de futur ». D’un futur où tous les hommes pourront vivre comme des hommes et non comme des chiens dressés à mordre leurs semblables, sans souffrir de ce qu’imposent les maîtres et leurs laquais. Car la souffrance ultime, la seule contre laquelle nous ne pouvons rien, c’est la mort.
Je relève ce passage qui me semble révélateur de la pensée de Pierre Dhainaut : « Nous ne devrions pas détacher un poème du recueil où il s’insère, nous ne devrions pas non plus envisager les recueils isolément, ils se contestent et ils se complètent : le sens, ici encore, ne dépend que du dialogue. Et ce dialogue ne se limite pas à l’auteur, l’auteur n’est pas seul. » Pierre Dhainaut revient sur la crise qui a marqué son œuvre et qui, se résolvant, a débouché sur l’écriture actuelle (et cette ouverture au monde) qui ne va pas sans contradictions : « Que serait la poésie si elle se détournait de la souffrance ? » La résolution de ces contradictions serait alors d’accepter la mort des proches et, en même temps, la naissance de ceux à qui nous donnons la vie et de les accompagner. Car l’homme, contrairement à ce que proclame la vulgate contemporaine, n’est pas un individu, mais le maillon d’une chaîne.
De jour comme de nuit : c’est faire une belle place à la nuit et aux chambres car : « les chambres [sont] les lieux par excellence des révélations nocturnes, celles où l’enfant cherche seul le sommeil, celle où les amants espèrent que leur étreinte durera pour l’éternité, celles où nous avons vu mourir, où nous mourrons, celles aussi où nous écrivons ». Et c’est toute une conception de l’écriture : la nuit, la raison raisonnante baisse sa garde et les mots viennent ; il reste alors à écrire le poème ; pour que le monde change, ou tout au moins, le rapport au monde qu’on veut nous imposer.
Si « la nuit et le jour sont indissolublement unis », alors le silence et la parole le sont aussi. Comme la vie et la mort. Reste à lire ce livre.
(Pierre Dhainaut et Mathieu Hilfiger, « De jour comme de nuit ». Le Bateau fantôme éditeur, 70 pages, 14 €.)
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